Constantin Brunner (1862-1937) fut non seulement un philosophe original mais aussi l'analyste le plus profond des phénomènes de la haine vouée aux Juifs, de la montée de l'antisémitisme politique et du national-socialisme. Allemand d'origine juive, comme il se définissait lui-même, il préconisa sous la république de Weimar l'unité des Allemands, juifs et non juifs, contre ces dangers menaçant le fragile Etat démocratique. Aux Juifs, il demandait une participation active à leur propre émancipation, considérant le sionisme comme une réponse inappropriée, étrangère à l'histoire allemande et de nature à diviser davantage encore les communautés juives, les écartant de leur seul objectif commun: la défense contre l'exclusion politique et sociale. Sa doctrine universaliste et sa rigueur de pensée mettent en cause la confusion dans laquelle baignaient, à ses yeux, ces Allemands d'origine juive, prisonniers de leurs mythes anciens, athées, agnostiques ou peu religieux pour nombre d'entre eux, mais encore imprégnés dans leur ensemble par une religion nationale qui fut, des siècles durant, le substitut de l'antique nation disparue. Cette analyse lucide n'a, sous bien des aspects, rien perdu de son actualité, même si, en réaction à l'émotion du judéocide que Brunner n'a pas vécu, l'Etat d'Israël, qu'il regardait comme une utopie lourde de menaces, a vu le jour en 1948. Il n'est pas certain que la victoire si chèrement acquise sur le nazisme nous permette même aujourd'hui un accès aisé à la pensée de Brunner. Qui, Allemands, Israéliens, Français, auxquels Brunner est encore si peu accessible, Européens, Juifs dispersés dans le monde, peut s'ouvrir à lui sans anachronisme et retenir de ses réflexions l'essentiel, l'universalisme et la réciprocité des principes, si nécessaires à la construction d'une société multiculturelle débarrassée du racisme et de tous ses préjugés ? Préface, notes et traduction de l'allemand par Jacques Aron.
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